Projecteurs braqués sur la collaboration des éducatrices en garde scolaire et des enseignantes

Un texte de Philippe Caron, enseignant au préscolaire et Serge Boudreau, éducateur au préscolaire.

« La collaboration est associée à un processus complexe caractérisé par une démarche conjointe des personnes qui collaborent, leur engagement dans la poursuite d’un but commun et leur ouverture au savoir et aux expériences des autres. » (Portelance, Borges et Pharand, 2011)

Le travail exécuté par le personnel de garde scolaire auprès des enfants s’insère dans un ensemble d’interventions assumées par différents acteurs. Avec l’évolution des systèmes scolaires, la collaboration « s’est imposée ces dernières années comme une norme quasi incontournable » (Portelance, Borges et Pharand, 2011). La cohérence et la continuité de ces interventions aident au développement des enfants (Bronfenbrenner, 1979). Plus particulièrement, la collaboration entre l’éducatrice[1] de garde scolaire et l’enseignante d’un même groupe d’enfants favorise la cohérence des actions et améliore la continuité des interventions. Le présent article s’intéresse spécifiquement à la collaboration éducatrice-enseignante. Il s’adresse aux éducatrices en garde scolaire, aux enseignantes ainsi qu’à l’ensemble des intervenants scolaires qui doivent collaborer pour mieux intervenir auprès des enfants.

Nous sommes l’enseignant et l’éducateur du service de garde qui veillons sur les enfants d’une classe de Montréal tous les jours de la semaine. Concrètement, nous nous relayons quatre fois par jours afin d’encadrer ces enfants du préscolaire. Nous nous questionnons concernant ce qui aide à notre collaboration et ce qui nuit à celle-ci. Afin de nous éclairer, nous nous sommes tournés vers nos collègues dans nos champs respectifs afin de les questionner.

Nous avons invité des éducatrices en garde scolaire et des enseignantes à répondre à un court sondage anonyme. Au total, une vingtaine de personnes ont exprimé leur avis. Nous avons compilé les résultats afin d’identifier les éléments les plus fréquents. Nous souhaitions aussi comparer les propos des enseignantes et des éducatrices afin de savoir si leurs préoccupations étaient les mêmes. Cette méthodologie nous a permis d’identifier des enjeux importants concernant la collaboration éducatrice-enseignante. Nous vous présentons les résultats de nos analyses autour de ces différents enjeux mis en évidence par notre recherche : le temps, le code de vie, la gestion de groupe, l’espace et la reconnaissance. Nous proposerons par la suite quelques pistes de solutions.

Le temps

Ce qui aide à la collaboration entre les enseignants et les éducatrices vient se buter à la réalité de l’horaire de travail de chacun, s’opposant l’un à l’autre. À l’unanimité, les enseignantes souhaiteraient avoir du temps pour rencontrer les éducatrices. Un enseignant dira même que « nous sommes deux solitudes ». Même si les enseignantes et les éducatrices travaillent en collaboration, parfois même étroite, celles-ci ne sont pour ainsi dire jamais en même temps dans la classe. Lorsque l’enseignante prodigue son enseignement, l’éducatrice est absente de la classe. Inversement, lorsque l’éducatrice prend charge du groupe, l’enseignante, bien que parfois présente, demeure en retrait des interventions. Donc, pour se parler seul à seul, sans la présence des enfants, les intervenantes doivent se rencontrer durant leurs temps libres. Ces rencontres dépendent ainsi principalement du bon vouloir et de la disponibilité de chacun.

Le code de vie

Le second élément qui fait consensus auprès des enseignantes est que les éducatrices interviennent auprès des jeunes selon la couleur du code de vie instauré à l’école. En ce sens, des enseignantes parleront du souhait de partager les attentes ou d’avoir les mêmes valeurs. Certaines diront qu’il doit y avoir « cohérence entre les règles de l’école et le service de garde ». L’ouverture d’esprit, la confiance en l’autre sont les premiers ingrédients d’une bonne communication et d’une entraide mutuelle souhaitée. Mais est-il réaliste, voire nécessaire d’appliquer le code de vie de l’école dans le contexte du service de garde? Plusieurs éducateurs se posent la question. Ceux-ci évoquent la gestion de groupe différente pour esquisser une réponse.

La gestion de groupe

Le service de garde se pratique hors des heures de classe. Mais pour toutes les éducatrices, le travail en service de garde se pratique, la plupart du temps, dans la classe. Il peut arriver que les attentes en ce qui concerne la mise en application du code de vie soient différentes entre une éducatrice et sa collègue enseignante. Pour une meilleure gestion de groupe, la qualité de la relation entre les deux intervenants fait une bonne différence dans la mise à jour de cette gestion.

L’espace

À qui appartient la classe? D’emblée, certaines enseignantes constatent la surpopulation des écoles et le manque d’espace. Par contre, l’une d’elle dira aussi « que la notion de partage n’est pas la même pour tous ». « Certains adultes oublient que l’école et la classe appartiennent aux enfants et non à l’enseignante ». Si certaines enseignantes souhaitent qu’il y ait un partage des tâches en ce qui concerne la propreté du local, une autre dira vouloir « un respect des espaces de vie ». Certaines enseignantes sont d’accord pour partager le matériel, pourvu qu’il soit « remis dans le même état ». Une enseignante souhaiterait même que les activités du service de garde soient pratiquées en un lieu distinct de la classe. Mais dans une école de plus de 400 élèves, avec quelque 250 inscriptions au service de garde, il devient rapidement évident que l’occupation des locaux de classe est la solution la plus simple.

La construction de nos écoles précède de longtemps l’avènement des services de garde. Les locaux de classe ont été conçus jadis pour l’étude plutôt que pour le jeu et la détente. Lorsqu’une éducatrice arrive en classe, elle doit négocier avec un aménagement difficile à modifier, elle doit parfois se contenter d’un mobilier non adapté à la réalité du service de garde (Conseil supérieur de l’éducation, 2006).

La reconnaissance

La recherche réalisée auprès d’éducatrices et d’enseignantes a permis d’établir combien la reconnaissance des rôles respectifs s’avère un enjeu important au regard de l’abondance des propos recueillis auprès des participants. Cependant, les enseignantes et les éducatrices ne l’abordent pas de la même manière. Les éducatrices y font souvent référence, ils en parlent lorsqu’ils identifient les obstacles à la collaboration. Ils soulignent les « préjugés » envers leur métier, « l’incompréhension du rôle d’éducatrice. »

Les enseignantes abordent la reconnaissance plus rarement, ils en parlent comme un élément nécessaire à une meilleure collaboration. Un professeur dira que « les obstacles à la collaboration sont dû en grande partie à la méconnaissance des réalités de chaque profession ». Certains suggèrent que la « valorisation du corps d’emploi [en garde scolaire] » amènerait les enseignants à plus d’ouverture envers leurs collègues du service de garde. « Le manque de reconnaissance au niveau de l’importance de nos rôles » mènerait en quelque sorte aux jugements, à exclusion du processus de développement de l’enfant ».

Mais ce métier, apparu au Québec il y a aussi peu que quarante ans et ayant pris son essor au cours des années quatre-vingt-dix, fait encore trop peu partie des préoccupations du corps enseignant et des directions pour fournir le milieu propice à la socialisation et la marge de manœuvre nécessaire aux éducatrices en garde scolaire pour encadrer adéquatement et faire évoluer les enfants.

Nos recommandations

Les enjeux entourant la collaboration éducatrice-enseignantes sont nombreux. Si nous voulons des solutions durables, il nous semble opportun ici de les relever d’abord en fonction d’une volonté, celle de connaître et reconnaître l’apport de l’éducatrice en garde scolaire dans son milieu. Ainsi, commençons par lui donner des temps de rencontre avec son collègue professeur. Cette disponibilité ne peut être octroyée que de manière administrative, si nous voulons lui voir une pérennité.

Les éducatrices ont aussi besoin de reconnaissance auprès de leur groupe. Toutes les éducatrices ne traversent pas leur année scolaire avec la même sérénité d’esprit : la personnalité, l’expérience, le savoir-faire, le savoir-être peuvent avoir un impact certain sur la vie du groupe. Voulant parer à tout dénigrement de la part des élèves, nous proposons donc que l’enseignante, la direction de l’école et la commission scolaire aient le rôle crucial de valoriser le travail de l’éducatrice. La reconnaissance de l’apport d’une collègue dans la mission commune est au centre d’une collaboration efficace.

Au tournant des années 2000, un arrimage entre le projet éducatif de l’école et la plateforme éducative du service de garde a pris forme. Aujourd’hui, nous pensons que cet arrimage pourrait servir de lieu de rencontres professionnelles. Les membres du personnel de l’école pourraient élaborer des activités qui, quoique distinctes, marqueraient davantage cette collaboration.

En outre, il nous faut trouver ensemble des façons novatrices de répondre au besoin de la clientèle que nous desservons tous : les enfants, la raison d’être de notre travail !

Un texte de Philippe Caron, enseignant au préscolaire et Serge Boudreau, éducateur au préscolaire.

Références

Bronfenbrenner, U. (1979). The ecology of human development. Cambridge, MA : Harvard University Press

Conseil supérieur de l’éducation (2006). Les services de garde en milieu scolaire : Inscrire la qualité au cœur des priorités. Québec, QC : CSÉ.

Portelance, L., Borges, C., Pharand, J. (2011) La collaboration dans le milieu de l’éducation: Dimensions pratiques et perspectives théoriques. Qc : Presses de l’Université du Québec

 

[1] Le terme « éducatrice » désigne un éducateur ou une éducatrice. L’emploi d’un seul genre ne vise qu’à alléger le texte. Nous avons priorisé le féminin puisque les femmes sont très majoritaires au sein du personnel des écoles primaires. Il en va de même des termes « enseignante », « travailleuse » et «intervenante».